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Michel Feraud, patron bleu

En parvenant à débarrasser le bleu de méthylène des métaux lourds, le fondateur du laboratoire marseillais Provepharm Life Solutions a ouvert une nouvelle discipline thérapeutique : la réhabilitation de molécules tombées dans l’oubli. 

Les chargés d’affaires de feu-Oseo, l’ancêtre de Bpifrance, ont eu le nez creux quand ils ont accordé à Michel Feraud l’aide qu’il demandait pour financer le dépôt de brevet d’un bleu de méthylène de sa composition. L’ingénieur est alors à la tête de Provence Technologies, une société de service en chimie qui travaille à façon pour d’autres industriels. « Ce brevet a été l’opportunité de prendre notre indépendance », se souvient-il. Mais le pari est risqué. Banni par l’Europe à cause des métaux lourd qu’il contient, ce colorant aux multiples vertus a progressivement disparu des armoires médicales. Il doit donc le ranimer.

Cette molécule de synthèse, créée en 1876, a heureusement un débouché naturel exclusif : elle est le seul antidote connu contre l’empoisonnement sanguin au monoxyde de carbone des appareils de chauffage défectueux. Et celle de Michel Feraud est d’une pureté incomparable. Autorisé temporairement par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, son produit obtient donc une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne qui va peu à peu répandre son usage dans les hôpitaux des 27 pays membres de l’Union après une évaluation express de l’agence européenne du médicament (EMEA).

Nouvelle jeunesse
Dès 2011, le Proveblue, ainsi que Michel Feraud baptise son produit, traverse les continents et s’impose comme la nouvelle norme internationale du bleu de méthylène. Il rouvre des champs thérapeutiques éteints, pour ses qualités antiseptiques (notamment oculaires), antivirales, antipaludéennes, ou encore pour le diagnostic médical en oncologie et en chirurgie, pour visualiser certaines procédures, tester l’étanchéité des sutures ou détecter des fuites : « Ses applications pourraient même s’étendre au soin de maladies dégénératives », avance Michel Feraud, citant des travaux scientifiques sur la question.

Avec ce seul produit désormais homologué dans une trentaine de pays, en Europe, au Japon et aux Etats-Unis, l’entreprise a construit un modèle très rentable dans le secteur pharmaceutique habituellement gourmand de cash : avec 125 personnes elle a réalisé l’an passé un chiffre d’affaires de 77 millions d’euros. Et ça n’est qu’un début : « En déclinant ce modèle, nous sommes en train de constituer un portefeuille de molécules oubliées à revitaliser », explique le patron chimiste. Parmi les cibles de sa société, renommée Provepharm Life Solutions, figurent notamment la mise au point de principes actifs contre le paludisme, la malaria, différentes formes d’allergie, mais aussi le traitement de la douleur et le diagnostic du cancer du sein.

Sur le plan commercial, le laboratoire marseillais a gagné l’an passé le dernier territoire qui manquait à son expansion en concluant un accord de licence avec un nouveau partenaire chinois : « Provepharm va doubler de taille dans les cinq ans », anticipe son président.

Paul Molga